Faire don d’un organe pour sauver des êtres humains ou les aider à se soulager de leur souffrance est un geste aussi noble que peu répandu au Maroc. Preuve en chiffres. Actuellement, à peine 1.200 donneurs potentiels sont inscrits sur le registre du don. Le Maroc accuse un sérieux retard en matière de greffe d’organes en général et rénale en particulier. La première greffe rénale à l’échelle maghrébine a été réalisée en 1985 au sein de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. En 34 ans, le Maroc n’a réalisé que 600 transplantations rénales alors que l’Espagne, par exemple, réalise plus de 4.000 transplantations par an. Face à cette situation préoccupante, plusieurs voix se sont élevées depuis des années, insistant sur la nécessité d’élaborer de nouvelles stratégies en appelant à une mobilisation de tous les acteurs concernés afin de contribuer au développement de ce moyen thérapeutique dans notre pays.
Donner un rein, offrir une nouvelle vie
L’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) est une priorité majeure de santé publique et l’organe le plus transplanté au Maroc est le rein. Sauf que l’incidence est sans cesse croissante et le coût du traitement reste élevé. Seule la transplantation rénale est à même d’éviter au malade la dialyse à vie. «Dans le monde, la prévalence de la maladie rénale chronique (MRC) est élevée. Elle est estimée entre 11 et 13% de la population. 80% des cas surviennent dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, dont 25% chez les moins de 60 ans. Les chiffres sont alarmants et de plus en plus ahurissants: 10% de la population mondiale est touchée par la MRC, soit pour le Maroc près de 3 millions de notre population», alerte Dr Amal Bourquia, professeur de néphrologie et de néphrologie pédiatrique et présidente de l’association REINS.
Près de 34.000 patients arrivés au stade terminal de l’IRC sont en hémodialyse, dont 23.000 traités dans le secteur libéral, 3.000 pris en charge dans le cadre du PPP (Partenariat public-privé) et 9.000 dans le secteur public, dont la moitié est traitée par des associations. Dans notre pays, nous avons près de 407 centres d’hémodialyse qui prennent en charge ces patients. «Chaque patient arrivé au stade terminal de l’IRC a besoin d’être dialysé 3 fois par semaine, soit 12 heures réparties sur la semaine. La tarification nationale de l’hémodialyse est de 850 DH, elle n’a pas changé depuis plus de 20 ans», souligne-t-elle. La dialyse ne remplace qu’une seule fonction du rein, à savoir l’épuration. Toutes les autres fonctions, comme la production de l’érythropoïétine ou encore la vitamine D active, doivent être apportées sous forme de médicaments de substitution à vie. Le coût varie entre 3.000 à 5.000 DH. Et bien que les mutuelles accordent des prises en charge pour le traitement par érythropoïétine, il reste très coûteux.
En conséquence, «la transplantation rénale est le traitement de choix de l’IRCT», affirme Dr Amal. «Malheureusement, au Maroc, le don d’organes reste très insuffisant, et ce, pour de nombreuses raisons. Plusieurs problèmes limitent l’accès à la transplantation, dont l’insuffisance de fonds alloués, le manque d’informations et la faible sensibilisation. Une réflexion nationale, avec l’implication de tous les acteurs, s’avère nécessaire pour optimiser les dépenses et tracer une stratégie pour le futur où l’on verrait la transplantation rénale comme une alternative indispensable», espère-t-elle.
Appel à une révision de la loi sur le don d’organes
Pour réglementer le prélèvement et la transplantation d’organes au Maroc, le législateur a promulgué la loi n°16-98 en 1999. C’était il y a une éternité et depuis, rien ! Aujourd’hui, plusieurs praticiens insistent sur la nécessité d’une révision immédiate de cette loi en vue d’augmenter le nombre de donneurs. La néphrologue appelle à adopter le principe du donneur par défaut : si une personne décédée n’a pas manifesté de volonté contraire de son vivant, elle est présumée donneuse d’organe. «La loi n°16-98 mériterait d’être revue pour être mieux adaptée à la pratique. Notre association a par ailleurs demandé depuis des années de la modifier afin que nous soyons tous des donneurs, sauf ceux qui s’inscriraient sur le registre du refus. À l’instar d’autres pays, cette procédure pourrait favoriser le développement du don d’organes après le décès», affirme-t-elle. Dr Amal recommande d’établir des plateformes numériques pour inscription à distance et information en ligne et de créer un établissement de régulation de l’activité de transplantation d’organes sous l’égide du ministère de la Santé dans le but de réguler les prélèvements et les greffes, ainsi que d’élargir la liste des établissements agréés à faire des prélèvements et des transplantations d’organes aux structures privées qui répondent aux normes selon le cahier des charges.