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Prévisions économiques: à toute institution son scénario

Comme chaque année, les pronostics d’évolution de l’économie marocaine se multiplient et se suivent entre les institutions nationales et internationales. Elles s’actualisent en cours de route, en fonction des changements de conjoncture, de l’évolution des indicateurs et de la production d’évènements internes ou externes. La guerre des scénarii a toujours été présente, encore plus dans un contexte pareil. HCP, Bank Al-Maghrib, ministère des Finances, Banque mondiale, FMI, chaque établissement manie sa propre boule de cristal pour prédire l’avenir : croissance, inflation, déficit budgétaire, endettement du Trésor, et on en passe. Pour ne s’en tenir qu’au taux de croissance estimé en cette année, alors que BAM prévoit une croissance économique de 3%, le HCP la calcule à 3,3%, quand la Banque mondiale l’établit à 3,5% et le FMI à 3,1%. Le ministère des Finances, lui, a estimé, dans son hypothèse de base servant à établir la Loi de finances de 2023, à 4%. Plusieurs pronostics, allant jusqu’à 90 points de base entre une institution et une autre. Dans ce flot de scénarii, les instances de prévisions marocaines tablent toutes sur une assez timide contribution du secteur non agricole, avec une valeur ajoutée variant entre 2,4% pour BAM, 2,7% pour le HCP et 2,9% pour le ministère des Finances. En revanche, les anticipations d’évolution du secteur agricole diffèrent, et ce, malgré qu’elles aient tenu compte d’une campagne agricole moyenne de 75 millions de quintaux. Elle se situerait entre 7% et 12,9%. On entend bien qu’il est difficile de prévoir de telles données, très importantes pour décider de la trajectoire que devra prendre l’économie marocaine, vu qu’elles dépendent en majeure partie de la générosité divine. Mais, en même temps, nous autres communs des mortels voudrons bien connaître les modèles de projections de ces institutions, ne serait-ce que de manière simplifiée ! Là où la différence est frappante, c’est au niveau du taux d’inflation. Ce qui nous a averti le plus, c’est bien cet indicateur prévu par le HCP à 1,9% et qui se rapproche de celui du ministère des Finances pressenti, lui, à 2% en 2023, au moment où il pointerait à 3,9% selon BAM et à 4,1% pour le FMI.
Outils ÉCONOMÉTRIQUES différents
Il n’est nul doute que ces prévisions dépendent d’outils de modélisation propres à chaque institution, qui se font sur la base d’hypothèses et de modèles économétriques. Mais il n’en reste pas moins que «ces modèles sont entourés de mystère et donc difficiles d’accès», aux dires de Nabil Adel, enseignant-chercheur et économiste. Toujours selon lui: «Il existe plusieurs manières de prédire le comportement d’un phénomène. Son évolution s’explique soit par le passage du temps, soit par cela en additionnant d’autres facteurs. Mais tout porte à croire que les prédictions sont effectuées à travers l’attitude passée du fait à étudier». Ce qui dépend à son tour de la pondération du facteur temps dans les prévisions. Cette façon de faire est celle utilisée par le HCP, puisque Ayachi Khellaf, secrétaire général du HCP, explique: «Les dernières données communiquées sur l’indice des prix, tirées des enquêtes réalisées par le HCP, renvoient vers une tendance à la baisse du niveau d’inflation». Autrement dit, la vitesse d’augmentation des prix a décéléré, ou encore mieux les prix ne devraient plus augmenter de manière aussi ample qu’en 2022. «Cela ne veut pas dire que les prix emprunteraient un chemin baissier, mais que la variation des prix entre une période et une autre ne serait pas plus importante que l’année dernière», renchérit Khellaf. Et de toute évidence, cela se base sur l’ensemble des études et enquêtes sur l’emploi, les entreprises, les ménages… Juste à titre d’information, c’est sur l’indice des prix calculé par le HCP que se basent les autres institutions pour établir leurs pronostics. Notre économiste estime que les institutions, autres que le HCP, ont établi des prévisions plus prudentes en la matière. Ce qui complique davantage ces prédictions, c’est que «le Maroc ne dispose pas d’historique solide pour pouvoir prévoir la baisse de cette inflation. Le dernier passage d’une inflation haussière à une autre baissière remonte à 1986, après environ une décennie de progression des prix», raconte Adel. Sauf que pour l’année prochaine, elle serait en baisse, pour toutes les instances. «L’on peut deviner que, comme il s’agit d’inflation importée, ces dernières considèrent une stabilisation des prix à l’international. Ce qui devrait se répercuter directement sur le Maroc», conclut-il. Ces prévisions sont de toute évidence remises à la page fréquemment, des fois maintenues, d’autres revues à la hausse ou à la baisse. Pour ce qui est de 2022, le HCP a maintenu sa prévision de croissance à 1,3%, même après l’actualisation de son budget exploratoire entre juin et janvier, au moment où les autres l’ont réadaptée au contexte macroéconomique national et international.
Retour sur les trois dernières années
Il faut dire que quel que soit le niveau de ces prévisions et leur degré de réalisation, il est normal d’avoir des différences entre une institution et une autre. Autrement, l’avenir serait connu de tous et les bureaux de recherche seraient évalués sur les résultats conclus et non sur les moyens mis en œuvre. Depuis toujours, les prévisionnistes se livrent à une bataille à base de modélisations et de résultats. Si l’on remonte aux trois dernières années, soit 2021, 2020 et 2019, les statistiques arrêtées à 2022 n’étant toujours pas disponibles, force est de remarquer que les prévisions du HCP sont les plus proches de la réalité.
En effet, l’économie marocaine avait réalisé en 2021 un taux de croissance de 7,4%, dû essentiellement à un effet de base, vu que 2020 était une année, pour le moins, catastrophique. Le HCP avait alors anticipé un taux de croissance du PIB de 7,2% contre 6,7% pour BAM et 6,9% pour la Banque mondiale. Cela dit, tous s’accordent à affirmer que la croissance était stimulée, entre autres, par une bonne campagne agricole et par l’amélioration de la situation épidémiologique. Ce qui a entraîné un raffermissement de la demande extérieure et intérieure. D’ailleurs, c’est cette dernière qui expliquerait le taux de croissance prévu en 2022. Il en est de même pour les années qui ont suivi où l’économie marocaine s’était dépréciée de 7,2%, alors que les prédictions de la Banque centrale faisaient état d’une baisse de 6,6%, au lieu de 7% pour le HCP et 4% pour cette institution de Bretton Woods.
Pour confirmer cela, 2,9% était le taux de croissance du Maroc en 2019 et le HCP était tombé exactement sur ce chiffre, à la virgule près. Loin derrière vient le ministère des Finances avec des anticipations de réalisations de 3,2% et la Banque mondiale avec 2,7%.
De son côté, l’inflation, probablement plus difficile à prévoir, s’est située en 2021 à 1,4%. Et c’est BAM qui a eu raison cette fois-ci, tandis que le HCP s’est éloigné de la réalité de 20 points de base et la Banque mondiale de 30 pbs. Idem pour les années précédentes. En fait, aucun facteur endogène ou exogène n’a pu perturber la stabilité des prix au niveau national, compte tenu de toutes les restrictions imposées pendant cette période mais grâce aussi aux efforts déployés par les pouvoirs publics et le secteur privé afin de maintenir la chaîne d’approvisionnement. L’indice général des prix est ressorti alors à 0,7%. Là, BAM l’a prédit à 0,2%, le HCP à 1,5% et la Banque mondiale à 1,1%.
Tout ce comparatif n’a pas pour objectif de noter la meilleure institution ou de désigner la moins bonne. Mais il s’agit de signaler qu’en fonction des années et de l’évolution du contexte dans sa globalité, les conjoncturistes vont selon leur propre partition.
Hypothèses de base communes
1- Reprise progressive du secteur agricole avec une campagne céréalière moyenne.
2- Environnement international contraignant toujours marqué par les tensions géopolitiques.
3- Ralentissement du volume du commerce mondial et, partant, de la demande étrangère adressée au Maroc.
